mardi 5 mars 2013

L'effet Hay River

Je dois dire que je me suis un peu blessé l'amour-propre depuis que je suis arrivée à Winnipeg. Pour comprendre pourquoi, il faut connaitre ce que j'appelle "l'effet Hay River" bien qu'il ne soit pas limité à Hay River.

A Hay River, et dans le reste des Ténos, et probablement dans d'autres petits bleds paumés du Canada, les gens aiment se dire les uns aux autres qu'ils ont beaucoup de talent. Enfin à leur face, bien sûr, car derrière leur dos, c'est une autre histoire. Mais les gens croient toujours le mieux d'eux-mêmes, alors quand ils s'entendent dire qu'ils sont très forts, ils le croient, pis quand ils entendent dire que quelqu'un a dit qu'ils sont mauvais, ils croient que c'est tout des médisances jalouses. Bertrand Russell l'avait bien dit: "L’ennui dans ce monde, c’est que les idiots sont sûrs d’eux et les gens sensés pleins de doutes."

Bon. Alors entre autres talents, les gens de Hay River pensent souvent chanter très bien. Euh... Ah bon? Moi je trouve pas, hein. Pis d'ailleurs ils refusent de chanter ensemble. Chacun se croit soliste. J'ai essayé plusieurs fois de recruter une chorale, il n'y avait pas moyen. D'ailleurs le travail d'équipe ne fait pas vraiment partie de leur culture, mais ça je vous l'expliquerai sur mon blog politique un de ces jours. Pour le moment, disons que Hay River chante très mal et se croit très fort, et c'est en grand partie pour ça que je suis partie. (Nan c'est même vrai ça, les raisons de mon départ, dans l'ordre chronologique de quand j'ai commencé à y penser, c'est 1) l'église luthérienne, 2) la musique, 3) l'économie.)

Alors quand j'étais à Hay River, je me pratiquais chez moi (français canadien "se pratiquer", soit "s'entraîner") dans le Highrise, personne pouvait rien me dire, je me croyais très forte. Pis d'ailleurs par rapport à Hay River, je SUIS très fort en musique vocale classique. Mais je me demandais quand-même, est-ce que je suis vraiment très forte, ou est-ce que j'ai l'effet Hay River et je me rend même pas compte à quel point je suis mauvaise? C'est bien pour ça qu'au bout d'un moment je me suis dit, marre de ces caves qui savent pas chanter, je m'en vais dans le sud pis je vais faire des leçons de chant.

Ah oui.

Alors sitôt arrivée à Winnipeg, je me suis mise aux leçons de chant. Le premier jour, pour que ma professeur de chant voie ce que je peux faire, j'ai chanté O moi babbino caro. J'étais toute contente de moi. Elle me dit "très bien, bravo, c'est une pièce très difficile, tu l'as bien fait." Bin oui, tiens, je te disais bien, que j'étais très forte.

Mais depuis la deuxième leçon, j'ai rien chanté. On ne fait aucun répertoire et même aucune étude technique, gamme, arpège, vocalise... rien. Parce que dès que je commence à chanter les échauffements, elle commence à me corriger. Hausse pas les épaules. Pis hausse pas la poitrine quand tu respires. Pis relâche ta langue pis mets de la tension dans les pommettes pis relâche tes joues pis respire à fond pis chante vers l'avant mais dans l'arrière de la bouche pis plus vertical pis tiens-toi droite pis relax t'es bin trop crispée. Hein?

Pfiou... J'en ai pris des mauvaises habitudes dans le nord. En effet, je ne me tiens pas droite. Pis je chante avec un accent. Pis ceci, et cela, et l'autre chose... Alors entre pratiquer la position et la diction et tout ça, bin on ne chante pas. Hé bin... Je me suis faite prendre à l'effet Hay River. Et moi qui croyais que j'étais bin plus maline qu'eux autres...

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