mercredi 26 janvier 2011

Pendant ce temps-là, le pont vers nulle part...

Ça faisait un bail que je n’ai pas parlé du pont, hein ?

Reprenons depuis le début. Le premier devis pour le pont était de $55 million. Le gouvernement n’avait pas voté dessus. Le devis montait avec le temps. Dans les derniers jours du dernier mandat de Joe Handley comme premier ministre, le devis étant de $150 million, Joe avait signé, sans vote de l’Assemblée, puis s’était retiré de la politique pour commencer un job lucratif de consultant chez Atcon, le maître d’œuvre du pont.

Donc, on s’est mis à construire, et dès le début il y a eu des problèmes avec la qualité du travail, ça a fait reculer la date prévue d’ouverture du pont et monter les coûts. On en était déjà à $175 million quand les plans ont été soumis à une revue technique, selon laquelle on a découvert que le design n’avait été testé que pour -40°C alors qu’il peut facilement faire plus froid que ça, que des parties des plans ne montraient pas assez de détail, et que personne ne savait comment on était censé pouvoir mettre en place le tablier. Donc, ça a causé davantage de délais, et puis tout à coup le GTNO, qui garantissait le financement, a dit à Atcon, « puisque c’est ainsi, tu nous rebaisses le prix à $150 million. » Atcon a répondu que non, mais que grâce au redesign, il était encore possible de le faire pour pas plus de $175 millions.

Du coup le GTNO a congédié Atcon. Et au lieu de faire soumissionner pour un nouveau maître d’ouvrage, ils ont simplement embauché Ruskin, qui contractait sous Atcon, et nous ont dit que comme ça on ferait des économies parce que Ruskin était déjà à pied d’œuvre alors que n’importe quelle autre compagnie nous chargerait le coût de se déployer. Et le nouveau prix que nous a fait Ruskin ? $182 millions. ($182,8, en fait, donc il aurait fallu arrondir à $183, mais ils ont dû se dire qu’on ne remarquerait pas l’erreur.)

Ah oui, c’est malin, ça. On a viré le maître d’œuvre parce qu’il ne nous baissait pas le prix, et à sa place on embauche sans soumissions un gars qui nous monte le prix. Bien vu, GTNO.

Et encore ça n’est pas le pire… la banque qui finançait le pont en a eu marre de tous ces boondoggles et a refusé de continuer à traiter avec la Deh Cho Bridge Corporation, et a dit que soit le GTNO assumait la dette au lieu de simplement la garantir, soit ils retiraient le financement. Donc, bien sûr, le GTNO a assumé la dette.

Et même ça n’est pas le pire ! Le pire c’est qu’en tant que territoire, nous ne sommes pas libres d’emprunter n’importe quoi comme ça. Nous avons une limite de dette de $500 million, et grâce au pont, nous sommes presque à cette limite.

Alors on se demande, dans tout ça, maintenant que c’est le contribuable qui est responsable pour cet emprunt énorme, comment pensons-nous payer pour le pont ? Le GTNO nous l’explique : on n’aura plus à entretenir le ferry (que j’adore, vous avez pu remarquer), donc ça va nous faire des économies. De deux millions par an. Et bien sûr on ne nous dit pas combien de ces deux millions vont simplement être convertis en frais d’entretien pour le pont.

Bon. Le pont coûte $183 million. Le financement… je n’ai jamais vu de données sur les conditions de financement. Il me semble que le gouvernement fédéral emprunte à 3%, plus ou moins, mais ça fait des années que je ne me suis pas penchée sur la question. Enfin disons 3% sur 30 ans. Ça me paraît raisonnable. Donc $182,8 millions à 3% sur 30 ans, ça fait en tout $94,6 millions d’intérêt. Donc total, $277,4 millions.

Bon. On économise $2 millions par an sur le bac, ça va donc nous prendre 139 ans de payer pour le pont. Durée de vie prévue du pont… trente ans.

C’est malin, ça. Tu construis un pont à $277 millions pour économiser $60 millions sur le ferry. Ça c’est bien les maths à la Ténoise.

Donc pour les autres $217 millions, on va faire un péage. (Tiens, encore un coût dont on ne nous parle pas : il va falloir créer des jobs pour les surveillants de péage.) Il y a 22.000 à 25.000 camions par an sur cette route, mais il y en aura moins quand les mines seront fermées. Donc disons 22.000 camions par an fois 30 ans, ça fait $329 par camion. Quand on pense qu’un tanker plein d’essence c’est à peu près 55.000 litres, ce péage va te faire augmenter le coût de l’essence à Yellowknife de 1 cent par litre, donc à peu près 1%. Bon… on pourrait dire que 1%, c’est pas pire, mais pour un pont qui était censé se faire construire pour baisser le coût de la vie à Yellowknife, c’est pas malin.

Enfin au moins comme ça c’est Yellowknife qui paye et pas nous autres, c’est déjà ça.

Mais ce n’est pas tout ! Ruskin n’aimait pas le travail fait sous Atcon (nous autres non plus), donc il a fallu faire tout inspecter et préparer un nouveau rapport. Juste le rapport a coûté $285.000. Maintenant on nous dit qu’il y a des choses à réparer, ça va coûter encore $7 millions. « Mais ça n’augmente pas le prix total du pont », nous dit le GTNO, « on va se servir des $2,9 millions qu’on a retenu sur les factures d’Atcon. »

Hein ? Sept moins trois, moi ça me fait quatre.

On découvre par la suite qu’on a retenu $2,9 millions d’Atcon, puis le gouvernement du Nouveau-Brunswick nous donne $13,3 millions parce qu’Atcon a fait faillite après avoir été viré du pont, et c’est leur gouvernement qui écope. C’est bien, comme ça la prochaine fois qu’on aura besoin de faire venir un constructeur pour un gros projet, leur gouvernement va pas être trop tenté de les soutenir.

Je te dis, la dévolution ça va être un bordel noir.

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