dimanche 6 février 2011

Le défi du béton

Je viens de finir le premier chapitre du livre sur le béton (Design and Control of Concrete Mixtures, seventh Canadian edition, Kosmatka et al.).

En page ii, on nous apprend que « cette publication est conçue pour l’usage UNIQUEMENT de PROFESSIONNELS qui ont les compétences nécessaires pour évaluer l’importance et les limitations de l’information fournie, et qui accepteront la responsabilité totale pour l’application de cette information. » Ils rigolent pas, ces gars. Mais c’est vrai que le béton, c’est important, et ça devrait être fait par des professionnels qui y comprennent quelque chose, pas par des guignols à l’ego détraqué.

Bon. Page ix, on nous dit que ce bouquin « a été l’ouvrage de référence de l’industrie du ciment et du béton, depuis sa première publication aux Etats-Unis au milieu des années 1920 ». P’tain, l’anglais, ça se traduit vachement mal en français. Enfin à part ma traduction nulle, on comprend que c’est bien LE livre qu’il te faut si tu veux savoir quelque chose sur le béton. Il y en a de plus spécialisés et de plus récents, mais il faut commencer par celui-ci. Et il ne coûte que $78, alors qu’il va t’éviter de faire des milliers de dollars de béton merdique.

Le premier chapitre, Principes fondamentaux du béton, fait 18 pages de lecture très simple, et peut être résumé en un diagramme facile à comprendre, comme ceci :


Malheureusement, je ne peux pas mettre le PDF sur ce site (que je sache), donc ceci est une capture de l’écran et vous ne pouvez pas apprécier à fond la beauté de la chose. Mais à le regarder de près, on voit que la variable clé du béton, c’est l’eau. D’abord la quantité d’eau pour le mélange, qui doit être la plus basse possible, soit à peu près 0,4 fois la quantité de ciment. Moins que ça, on n’arrivera pas à le travailler. Deuxièmement, la perte d’eau après que le béton est placé. Le béton frais peut faire deux choses : sécher ou s’hydrater. L’hydratation est une réaction chimique (en fait, des réactions chimiques) qui peut se poursuivre pendant des années, tant qu’il y a encore du ciment pas hydraté, de l’eau, de la chaleur, et de la place pour les produits de la réaction. Alors que sécher, c’est juste sécher.

Quand le béton sèche, il a moins d’eau pour s’hydrater, donc il s’hydrate moins, donc il n’est pas aussi fort, il craque, et il n’est pas durable. Donc après l’avoir mis en place, il faut commencer à le curer dès que possible, par exemple avec une brume d’eau, ou en le couvrant de bâches, de plastique, ou de toile de jute imprégnée d’eau. On continue comme ça le plus longtemps possible, et puis s’il pouvait faire à peu près +10°C, ça serait bien aussi, parce que c’est la meilleure température pour curer le béton.

Donc c’est vraiment pas très sorcier. Je parie que vous autres avez tout compris à ce que je viens de dire, même sans voir le superbe diagramme très facile à comprendre. L’ennui, c’est que le béton n’est pas fait par des professionnels compétents, mais par des guignols à l’ego détraqué, donc le diagramme de comment c’est fait en réalité, c’est comme ça :


Alors les gars placent le béton et puis ils s’en vont à la pêche. Plus il fait chaud et sec, plus ils sont contents, alors que le béton, vous autres le savez déjà, préfère frais et humide que chaud et sec. Curer le béton, ça ne vient à l’idée de personne. Leur béton craque après quelques heures, quelques jours s’ils sont chanceux, et la prochaine fois ils font exactement la même chose. Et si tu essayes de leur dire qu’il faudrait peut-être le couvrir, ils te disent toujours la même chose : « oublie ces âneries que tu lis dans les livres, ici c’est pour de vrai et nous on a l’Expérience. » Ah ouais ? C’est marrant, mon livre il a prédit exactement comment ton béton allait craquer, alors moi je le savais sans en avoir fait l’expérience, et toi tu le sauras toujours pas la prochaine fois quand tu vas refaire exactement les mêmes bêtises. Vingt ans d’expérience et ton béton craque à tous les coups… t’aurais peut-être dû lire le livre, au lieu de faire le malin.

Et le pire c’est que ce truc de curer le béton, on nous l’apprend à l’école. En première année. Et dès que les gars finissent les cours, ils se disent la même chose : l’école, c’est n’importe quoi, faut pas y croire, y a que l’Expérience qui compte. Et de continuer à ne rien apprendre de leurs expériences de béton craqué.

Enfin si vous vous apprêtez à me dire que je devrais faire autre chose que le BTP, c’est pas la peine, parce qu’il faudrait pas croire que les gens fassent mieux leur ouvrage dans d’autres industries. D’ailleurs je me demande toujours comment les gens qui font mal leur ouvrage (c’est-à-dire à peu près tout le monde) peuvent faire confiance à leur docteur ou à leur mécanicien. Si tu fais à moitié ton travail et que tu passes ton temps sur Facebook, qu’est-ce qui te fait croire que ton mécanicien travaille mieux que toi ? Et comme justement les mécaniciens font du bien meilleur travail que les personnels administratifs, pourquoi les derniers se croient-ils tellement supérieurs aux premiers ? Donc apparemment, le béton aussi a une morale marxiste.

Bon. Demain, chapitre deux : Ciments Portland, mélangés, et autres ciments hydrauliques.

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