dimanche 26 décembre 2010

Les proto-fascistes, 2ème episode

Un des contes de fées qu’on raconte aux petits TéNOis, c’est que nous avons « un gouvernement par consensus, comme les Inuit. »

C’est faux, et si c’était vrai ça serait stupide.

Les Inuit, c’est un peuple nomade préhistorique, ipso facto ils n’ont pas d’archives et on ne sait donc pas exactement comment ils se gouvernaient avant la conquête, mais ce dont on est assez sûr, c’est que l’été, les familles se dispersaient sur leur territoire pour chasser-cueillir, et l’hiver, elles se rassemblaient en groupes plus larges mais encore très petits. Sans doute certains de ces groupes se gouvernaient par consensus, mais tout aussi certainement, il y en avait d’autres où c’était la dictature, et d’autres où c’était la pagaille. Mais pour une petite population nomade qui n’a pas d’économie et donc pas de gouvernement à proprement parler, ce n’était pas très grave. Par contre gouverner une population industrialisée de 44.000 personnes comme ça, ça serait ridicule.

Mais justement, ce n’est pas comme ça que notre gouvernement fonctionne. Ça c’est juste un mensonge. En réalité, comme tout système parlementaire, nous sommes gouvernés par le vote. Ce qui est vrai c’est que nous n’avons pas de partis, et donc pas de démocratie. Nous élisons des députés. Ils choisissent un chef de gouvernement entre eux. Le chef du gouvernement choisit ensuite ses ministres. Les ministres forment « le gouvernement », et les non-ministres forment « l’opposition ». Comme il y a plus de non-ministres que de ministres, ça crée « en théorie » un gouvernement minoritaire. Et c’est tout. Donc ce n’est pas du tout un consensus, c’est juste un système parlementaire avorté.

Premièrement, remarquez qu’il n’y a qu’un groupe de dirigeants, alors que normalement dans un système parlementaire démocratique, il y en a au moins deux : soit deux chambres, soit un chef de gouvernement élu séparément, soit les deux. C’est un élément essentiel d’une démocratie puisque ça permet aux deux ou trois groupes de se contrôler mutuellement. Chez nous, l’assemblée ne répond à personne, et rien ne peux les empêcher de faire ce qu’ils veulent. Sauf leur propre incompétence et justement, leur absence de consensus. Car ni « le gouvernement » ni « l’opposition » ne forment une équipe cohérente. Par exemple, en ce moment, le ministre de l’Industrie essaye de faire venir des travailleurs pour occuper des emplois fictifs, avec la campagne « viens faire ta marque ». En même temps, le ministre de l’Education, de la Culture et de l’Emploi s’acharne à faire partir les gens en sabotant la formation technique. D’ailleurs on comprend mal pourquoi l’emploi et les métiers relèvent de la Culture et de l’Education et non de l’Industrie, ni même pourquoi on a tellement de ministères différents. Il me semble qu’il suffirait de quatre : le Ministère de la Paix, le Ministère de l’Abondance, le Ministère de la Vérité, et le Ministère de l’Amour. Mais je digresse.

Dans le cadre de « viens faire ta marque », le ministre de l’Industrie s’attend à ce que les étudiants deviennent des ambassadeurs pour le territoire et convainquent leurs camarades de classe de venir icitte pour les emplois miraculeux que nous sommes supposés ne pas pouvoir remplir, faute de chômeurs. Le fait que ces emplois n’existent pas n’est même pas important dans ce contexte, puisque l’ECE pour sa part interdit aux apprentis d’aller ailleurs pour leur formation, et donc les « ambassadeurs étudiants » pour les métiers sont ceux qui ont choisi de s’exiler plutôt que de se soumettre à la dictature de la stupidité, et il y a évidemment peu de chance qu’ils recrutent leurs camarades de classe. La main droite ne sait pas ce qu’elle fait elle-même, il y a peu de chance qu’elle comprenne ce que fait la main gauche. Autant pour le « consensus » dans « le gouvernement ».

Dans « l’opposition » c’est pire, ils votent n’importe comment. Par exemple ma députée, Jane Groenewegen, avait proposé une motion intelligente pour déposer le gouvernement. Un autre député, Tom Beaulieu, l’avait d’abord soutenue, puis a voté contre. C’est là l’avantage du système sans parti : il n’y a aucune loyauté et aucun système de pensée, donc on ne peut pas prédire ce que tel ou tel élu va faire. Voter pour l’un ou pour l’autre est donc sans importance car on sait que ça ne veut pas dire qu’on a une voix dans le gouvernement du territoire.

D’ailleurs, c’est pas vraiment la peine de voter, car il n’y a pas souvent plus d’un candidat viable. Aux avant-dernières élections, Groenewegen était opposée à deux excentriques locaux qui n’avaient aucune chance d’être élus, donc c’est comme d’avoir un candidat unique. La fois suivante il y avait un deuxième candidat, Miltenberger, qui n’est pas excentrique mais par contre vendu aux Rowe, donc chacun sait que s’il est élu, ça va vouloir dire plus de contrats de travaux publics pour les Rowe, et ça personne ne le veut. Donc une fois de plus, pas vraiment un choix.

Donc c’est comme ça. Tu votes pour le candidat unique, qui ne s’engage qu’à poursuivre son propre intérêt, et qui va faire absolument ce qu’il veut, que ça te plaise ou non. Et ça ne te plaira pas, à moins que tes intérêts soient les mêmes que ceux des élus.

Chose étrange, justement, les élus continuent à gérer leurs entreprises, alors qu’au niveau fédéral, les députés sont obligés de s’arranger pour ne pas avoir d’influence sur leurs compagnies pour la durée de leur mandat. Evidemment c’est pour limiter la corruption, et c’est bien pour ça qu’on ne le fait pas chez nous, à mon avis, car le motif majeur pour se présenter aux élections territoriales est justement l’opportunité de s’enrichir. Tout gouvernement est corrompu ; le nôtre l’est juste plus.

Le gouvernement opère donc avec un seul but : d’enrichir le gouvernement. La paresse et l’avarice sont les maîtres mots. 31% du territoire travaille pour le gouvernement, pas parce qu’il fait beaucoup d’ouvrage, mais justement parce que chaque employé en fait si peu qu’il faut 2,5 plus de main d’œuvre que partout ailleurs pour en faire bien moins. Ils sont payés en moyenne 56% de plus qu’ailleurs, sans compter leur subside non-imposable pour rentrer chez eux dans le sud deux fois par an aux frais du contribuable. Car bien sûr la plupart ne sont pas d’ici et ne s’y plaisent pas. Ils sont juste venus « faire leur marque », c’est-à-dire s’enrichir le plus vite possible et rentrer chez eux. Ils n’essaient même pas de prendre l’air de travailler. C’est une dictature des mollusques.

Par exemple, en septembre j’ai enregistré une plainte contre mon ancien employeur avec la direction du droit du travail. Récemment je leur ai demandé s’ils avaient fait des progrès, et on me répond que non, la personne chargée de mon cas est en vacances pour six semaines, elle s’y intéressera plus tard, si ça l’arrange. Bon, je dis à la responsable du service, tu donnes mon fichier à quelqu’un d’autre, c’est pas difficile. Elle me dit non, les autres ont mieux à faire, on n’a pas assez de monde, ouin ouin ouin. Bon, c’est un problème, mais c’est son problème, pas le mien. Si elle n’a pas assez de monde elle n’aurait pas dû laisser quelqu’un prendre six semaines de vacances, mais de toute façon on s’en fout, dans n’importe quelle entreprise, quand quelqu’un est en vacances, son travail est réparti entre les autres de façon à ce que ça continue à avancer. J’en ai dit autant à la responsable du service ; elle refuse donc maintenant de me répondre. Comme on n’a pas de prudhommes, il n’y aucun recours pour cette situation. J’ai donc écrit à ma députée et au ministre responsable, mais comme tout le gouvernement, ils n’y sont pas en ce moment. Car notre gouvernement tout entier, sauf deux ou trois indispensables, prend deux semaines de vacances pour les fêtes de fin d’année. Payés, bien sûr. Donc non seulement je n’ai pas été payée et le gouvernement refuse de s’en occuper, mais ils se payent tous deux semaines de vacances avec mes impôts.

Deuxième exemple, l’histoire de notre formation technique. Je vous l’ai déjà expliqué alors je ne le refais pas en longueur, mais en bref, ils m’empêchent d’avancer et me forcent à partir travailler dans l’Alberta, ainsi que beaucoup d’autres apprentis, simplement parce qu’ils refusent de dépenser de l’argent pour nous autres qu’ils pourraient se garder pour eux.

Troisième exemple, la médecine. Les services médicaux ici sont très primitifs, et ils refusent de nous envoyer ailleurs. Tout le monde veut aller ailleurs pour voir des spécialistes, alors maintenant le gouvernement refuse de payer pour les frais de voyage, et de nous référer auxdits spécialistes. Dans mon cas, j’avais demandé à voir un psychiatre. Il en vient un à Hay River tous les trois mois, je suis donc obligée de le voir lui et aucun autre. Donc j’y vais. Le psychiatre me demande ce qui va pas, je lui dis « d’abord, je ne suis pas dépressive. » Il écrit donc sur son carnet « dépression ». Puis il me demande « est-ce que vous êtes obsessive-compulsive ? » Je lui demande ce que c’est, il me dit « est-ce que vous vous lavez souvent les mains ? » Bon, d’abord OC c’est pas ça, et deuxièmement comme j’étais camionneur à l’époque et que je transportais des produits pétroliers, évidemment que je me lavais tout le temps les mains. Le mazout sur les mains c’est dégueulasse. Donc il écrit sur son carnet « et OC » et il est satisfait. Il me prescrit un médicament qui ne marche pas pour un problème que je n’ai pas, et c’est tout.

Bon, je retourne chez le docteur pour demander de voir un autre psychiatre. On n’a pas de docteur permanent, donc on voit un suppléant différent à chaque visite. Le clown du jour refuse de me laisser voir un autre psychiatre et même de réécrire la prescription pour le médicament qui marche pour le problème que j’ai, tant que je ne prends pas le médicament qui ne marche pas pour le problème que je n’ai pas. J’enregistre une plainte, personne n’y donne suite. Je retourne donc la semaine suivante, je vois une autre tête à claques, je me fais redonner une prescription pour le bon médicament. C’est déjà ça, mais quant à voir un psychiatre, il faudra que je me fasse recommander par un médecin de l’Alberta à un psychiatre de l’Alberta, et puis le gouvernement de l’Alberta enverra la facture au gouvernement des TéNOs. J’ai le droit de faire ça, c’est garanti par la loi canadienne, mais c’est pas pratique, et pour beaucoup de TéNOis, pas possible.

J’en passe, et encore moi, je suis débrouillarde.

Notre gouvernement est donc une dictature, puisqu’ils ne sont « élus » que pro forma, et une tyrannie, puisqu’ils sont cruels et oppressifs. Heureusement ils n’ont pas de force militaire ou policière et ils sont incapables de travailler ensemble, ils se limitent donc d’eux-mêmes. Mais ce n’est pas assez.

Comme ce système ne marche évidemment pas, il faut le remplacer. Ça ne risque pas de se faire car la culture canadienne n’a pas le concept de la réforme constitutionnelle, encore moins de la révolution ou même de l’activisme. M’enfin pour faire des progrès, il faudrait d’abord un système au moins bicaméral, comme dans une vraie démocratie parlementaire, et deuxièmement, des partis. Les partis sont essentiels à la démocratie puisque c’est la seule façon de s’assurer que le gars pour qui tu votes va représenter les idées pour lesquelles tu voudrais voter. Troisièmement, je le dis toujours, le système le plus démocratique c’est la représentation proportionnelle. Elire les députés par circonscription, d’abord ça ne représente pas bien la volonté du peuple, et deuxièmement ça n’a pas de sens dans un monde industrialisé. Ça allait bien quand chaque circonscription vivait plus en dedans d’elle-même qu’en contact avec le monde ; disons, au Moyen Âge. Mais l’industrialisation et le mouvement travailleur sont des phénomènes internationaux ; c’est bien pour ça qu’on nous appelle « l’Internationale socialiste ». Donc à plus forte raison, la représentation par localité n’a plus aucun sens. Pour un exemple spécifique aux TéNOs, rappelez-vous qu’il y a peut-être un an, nous avons eu un projet de loi pour interdire le téléphone au volant, qui a échoué sous prétexte que « seulement sept communautés » sur 33 ont accès au réseau mobile. Ce n’est pas faux, mais c’est stupide, car ces sept communautés regroupent 80% de la population du territoire. Preuve donc que de gouverner pour les intérêts locaux n’a aucun sens.

Sur un de mes groupes de Facebook il y avait un gars qui voulait organiser un parti, mais pour vous dire à quel point on manque de culture politique, son idée c’est d’abord de rassembler des adhérents, et quand il y en aura assez, de choisir une plate-forme électorale. Mais une pas « diviseuse » car ça dissuaderait les gens d’adhérer. Hein ? Il n’a rien compris, celui-là. Pour former un parti, il faut d’abord des idées, et il faut bien sûr qu’elles divisent puisque justement le but du jeu c’est de se répartir entre différents partis, pour que chacun sache qui représente le mieux ses propres idées. Si le parti n’a pas d’idées avec qui quelqu’un n’est pas d’accord, il ne sert à rien. Après, si les idées du parti correspondent avec celles de certains électeurs, ils adhèrent ; sinon, ils n’adhèrent pas, et le parti se dissout. C’est quand même pas sorcier.

Bon. Donc comme vous voyez, on est mal partis pour la révolution. Deuxièmement, on aurait de toute façon le même problème que Lénine, c’est-à-dire que les travailleurs manquent de conscience politique, et d’ailleurs ils n’ont pas le temps de faire de la politique, car ils travaillent. Il faut donc que le mouvement travailleur soit dirigé par une avant-garde entraînée à la pensée politique. Dans un endroit normal ça pourrait être les syndicats, puisqu’ils forment des cadres justement pour comprendre et défendre les droits des travailleurs. Mais comme le seul syndicat qui ait une forte présence dans le territoire est celui des employés du gouvernement, ça ne risque pas de nous aider.

A supposer qu’on puisse former un parti travailliste motivé et actif, on aurait l’avantage, dans un premier temps, d’être le seul parti. Or un parti unique travailliste est un système très efficace pour avancer non seulement la cause des travailleurs mais l’industrialisation. Les grands mouvements d’industrialisation du vingtième siècle ont réussi sur ce principe. Malheureusement, ils étaient tous dirigés par des sociopathes, mais ça n’est pas une faute du système du parti travailliste unique (d’ailleurs il y a plus de sociopathes capitalistes que travaillistes, j’en suis certaine) ; c’est plutôt un effet du système répressif qui leur a donné naissance, puisque dans une situation révolutionnaire, c’est le gars le plus mécontent et le plus violent qui prend le pouvoir ; donc si on attend une révolution pour écouter les travailleurs, c’est naturellement le plus pathologique qui devient Secrétaire Général. Mais appliqué de façon non-violente, le socialisme à mort marche, puisque ça réussit en Suède. La Suède, justement, est un exemple particulièrement utile puisqu’elle ressemble énormément aux TéNOs en géographie physique, mais alors que nous n’avons pratiquement pas d’industrie, nos services sont minables, et notre gouvernement est une bande de singes, les suédois ont une économie qui marche et qui offre à tous un très haut niveau de services gouvernementaux. Donc s’ils peuvent le faire, nous devrions le pouvoir aussi.

Tout ça pour dire que si on pouvait former un parti travailliste et se présenter en force aux prochaines élections, avant que les dictateurs aient le temps de réagir et de s’organiser pour résister, on pourrait réorganiser le gouvernement pour le mettre au service des travailleurs, plutôt que l’inverse, puis entreprendre une campagne d’industrialisation et donc créer une économie réaliste.

Gagnerions-nous aux élections ? Ça dépendrait évidemment de la qualité de notre propagande. 31% des employés travaillent dans la fonction publique ; ça veut donc dire que 69% travaillent dans le privé et sont donc a priori de notre côté. Il suffit juste de le leur expliquer.

Encore faudrait-il trouver assez de TéNOis marxistes pour former le parti.

2 commentaires:

Une femme libre a dit…

Héhé, j'adore l'histoire du psychiatre qui écrit le contraire de ce que tu dis et te prescrit en conséquence du faux diagnostic! Bon, je sais, c'est pas vraiment drôle dans les faits, mais à lire, plutôt hilarant et incroyable! Ouf! Il faut plutôt être en bonne santé mentale pour se faire soigner un problème de santé mentale par chez vous.

Mongoose a dit…

Ce qui est encore plus “marrant” c’est que le taux de suicide dans les territories est très élevé, alors le gouvernement essaye d’y remédier en organisant… des activités sportives. Mais par contre des jobs et des services psychiatrique, absolument pas question. Ici une urgence psychiatrique n’existe pas, si tu te présentes à l’hôpital et tu dis que tu es un danger pour toi-même, ils t’envoient paître. Absolument incroyable.