vendredi 19 novembre 2010

Pourquoi je suis charpentier

On me demande souvent ça. C’est bizarre, comme question. Moi je dis pas aux gens « hein ? T’es secrétaire ? Pourquoi t’es-tu secrétaire ? Réceptionniste, d’accord, mais secrétaire, c’est fou ça. » Enfin secrétaire, PDG, docteur, militaire, chômeur, comptable, parasite, bénévole, sage-femme, retraité, femme au foyer, président de la république… Est-ce que je vous demande pourquoi ? C’est fou cette histoire.

Enfin bref, on me demande pourquoi je suis charpentier, alors je t’explique. D’abord, on travaille dehors. Donc rien que ça, déjà, c’est mieux que ta job. Sauf militaire ou pro de golf.

Deuxièmement, charpentier, c’est vachement ludique. Comme les Legos, sauf que mieux payé. Y a un gars qui te donne un bout de papier avec un dessin, un autre gars t’apporte une grosse pile de bouts de bois, et voilà, tu te débrouilles pour construire quelque chose. Si t’es chanceux, ça ressemble au dessin du premier gars. Pis après t’es payé. Si t’es comptable, t’es mieux payé, mais c’est pas ludique. Moi je disais toujours que c’est comme Tetris avec l’argent des autres, mais bon, on s’amuse pas de trop. Deux comptables qui se rencontrent, ils ont pas d’anecdotes marrantes d’ouvrage à se raconter. Genre y a un comptable qui peinture son plafond, pis un autre comptable s’amène et lui dit « accroche-toi à la TVA, j’enlève l’échelle. » Nul, hein ? Tu vois, même si t’aimes ça, la compta, c’est plate.

Troisièmement, la charpenterie, c’est du travail d’équipe. Disons qu’on a une poutre d’acier à placer ; on appelle huit gars et une grue, on s’y met tous, y en a toujours un qui fait rien, bon, on rigole. Compta, même quand on s’y met à plusieurs, c’est pas du tout la même chose. Y en a un qui s’occupe des comptes clients, un qui s’occupe des comptes fournisseurs, un autre fait les impôts, pis le vendredi on a une réunion d’équipe. Même si tu paies 182 millions de dollars pour un maudit pont qui sert à rien, il suffit d’un seul gars pour écrire au journal que tu t’es fait arnaquer. Et le travail d’équipe, c’est toujours plus marrant. Même si tu t’es pris de bec avec un autre gars, quand on s’entraide, on rigole. Pas de rancune. C’est sympa.

Exemple. Dans ma classe de première de charpenterie, on est douze, moins un qui est malade. On a trois heures d’atelier par jour, et il y en a qui travaillent plus vite que d’autres, donc après quatre semaines, il y a presque deux jours d’écart entre les plus rapides et les plus lents. Aujourd’hui, on était quatre à avoir fini le projet courant, et l’instructeur ne voulait pas qu’on commence le suivant, donc il nous donne autre chose à faire. D’abord, découper du contreplaqué. Bon, en vrai, découper du contreplaqué sur la scie à table, c’est plate, mais on était quatre, et on n’était pas très surveillés car on est censé savoir le faire, pis l’instructeur s’occupait d’instruire ceux qui travaillaient encore. Y en a deux qui n’ont rien écouté, un qui n’a pas l’habitude de la scie à table, et moi j’aime pas faire ma têteuse alors je suis la foule. Donc mon binôme commence par mettre le contreplaqué sur la scie dans le mauvais sens. Ça quand même j’ai dû intervenir, je lui dis « coudonc, c’est mal parti ton affaire, fais donc comme Dave nous a dit. » Donc, on se met à rire. Parce que se tromper en charpenterie, surtout si c’est dangereux, c’est pliant. Sauf pour le gars qui paie les factures, mais il n’y est pas et il nous traite mal, donc on s’en fout de ses états d’âme.

Bon. Une fois qu’on commence à rigoler, tout parait plus drôle qu’avant. Donc on a tout découpé, de plus en plus de travers, on en a échappé un morceau ou deux, l’autre paire a coupé dans le mauvais sens, en travers du grain au lieu de la longueur. C’est désopilant. L’instructeur vient nous superviser, un peu, et il nous demande « ça va, vous savez ce que vous faites ? » Je dis oui, les trois autres clowns disent non. « Très bien, » il nous dit, « c’est comme à l’ouvrage alors, continuez. » Et il retourne à ses moutons et nous autres on finit de massacrer le contreplaqué.

Après ça, il faut nettoyer l’atelier. C’est un autre truc que le BTP a en commun avec les Legos : à la fin des heures de présence, il faut tout ranger. Evidemment il faut mettre les outils sous clé pour pas qu’on te les vole, pis il faut ranger les matériaux et ramasser les débris, parce que ça n’a pas d’allure pour le public de voire un site dégueulasse, et puis parce qu’un espace de travail en désordre c’est pas sécuritaire. Donc on arrête le travail cinq à vingt minutes avant l’heure dite, et on range. Et le vendredi, on fait un super nettoyage. Mais dans notre atelier à l’école, comme il y a une autre classe qui s’en sert le matin, personne ne fait le grand nettoyage, et c’est la pagaille. Alors aujourd’hui, Dave nous dit de tout nettoyer comme si c’était chez nous. Donc on balaye, on passe l’aspirateur, on bouge les meubles, tout ça. Le faire chez soi c’est plate, et les comptables payent quelqu’un pour le faire pour eux, mais nous, ça fait partie de notre job, et ça nous amuse. Alors on rit tous comme des goélands, ça n’a aucun sens, mais c’est comme ça.

Donc voilà. L’air frais, les activités ludiques, et l’esprit d’équipe. C’est comme les colonies de vacances, sauf que c’est toute l’année et on est payé. Alors la question c’est pas pourquoi je suis charpentier, mais pourquoi les autres ne le sont pas.

Aucun commentaire: